Dire la résilience

  • By Emna Zina Thabet
  • 30/11/2018

Une femme marche dans une rue couverte de débris causés par les inondations du typhon Damrey dans l'ancienne ville classée au patrimoine mondial de l'UNESCO de Hoi An, au Vietnam, le 8 novembre 2017. REUTERS / Jorge Silva

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Les mains se tendent dans l’hilarité générale dès que la première question est posée. L’amphithéâtre de l’université de sciences naturelles de Hanoï est bondé ce matin et chacun veut prendre la parole en premier. La conférence « Les jeunes et le changement climatique : défis d’aujourd’hui, quelle résilience demain ? » organisée par le Ministère du Plan et de l’Investissement, l’Union de la Jeunesse et par l’Agence française de développement a commencé dans la bonne humeur et pendant la pause, un quiz est organisé pour tester les connaissances du public sur le changement climatique. Une hôtesse distribue des pots de jolies plantes à ceux qui donnent les bonnes réponses. Assise au milieu du public, Hoang s’impatiente ; la conférence doit couronner les gagnants d’un concours dont elle est lauréate. Etudiante à l’académie de sécurité publique, elle se destine à être agent de police et s’intéresse de près aux effets du changement climatique.

Le Vietnam est l’un des pays du monde les plus vulnérables aux effets du changement climatique et des phénomènes climatiques extrêmes. La population ainsi que les grands acteurs économiques se concentrent sur le littoral et autour des deltas du fleuve rouge et du Mékong, particulièrement exposés aux risques de cyclones, de crues, d’élévation de la mer et d’infiltration d’eaux salines. Les projections climatiques estiment qu’une élévation du niveau de la mer pourrait toucher 10% de la population et réduire le produit intérieur brut de 10%. Ces chiffres recouvrent des enjeux de taille pour le pays. Cela signifierait l’augmentation des taux de pollution et des risques phytosanitaires, la précarisation des habitats, la réduction de l’accès aux services publics et aux transports dans les zones rurales et périurbaines, l’aggravation du problème de gestion des déchets et contribuerait à creuser davantage les inégalités socio-économiques.

Ainsi, la question de l’adaptation au changement climatique fait-elle l’objet d’une véritable prise de conscience au Vietnam et les pouvoirs publics, mobilisés dans l’application de l’accord de Paris, développent une législation et des dispositifs de suivi, d’alerte et d’urgence pour parer aux catastrophes naturelles et aux chocs.

Faire face aux chocs et aux épreuves n’est pas chose nouvelle dans ce pays qui a payé un lourd tribut à des décennies de conflit et dont la population a toujours su faire preuve de capacité de résistance et d’inventivité. Pourtant, au Vietnam dont l’histoire contemporaine est une illustration de l’idée de résilience, ce mot n’existe pas.

Souvent traduit par des périphrases, le concept reste flou et très peu intégré dans les politiques publiques et son appréhension reste souvent cantonnée à la prévention des extrêmes climatiques. Or, c’est là que réside tout l’enjeu pour le Vietnam : comment passer de la prise de conscience du changement climatique au renforcement de la capacité de résilience des acteurs économiques, des villes, des territoires et des populations ?

Cette démarche suppose de prendre en compte le rapport complexe entre la croissance économique galopante, les besoins d’une population concentrée dans les zones urbaines et les incertitudes face à un climat en pleine évolution.

C’est ainsi qu’est née l’idée de cette conférence de réflexion sur le thème de la résilience couronnée d’un concours de traduction en mots et en images du concept de résilience dans la langue vietnamienne et qui a mobilisé les jeunes vietnamiens. Il a été l’occasion pour plus de 400 participants de faire preuve de créativité et a été relayé à grande échelle, grâce aux réseaux sociaux et aux plateformes de discussions en ligne. Les propositions des candidats ont été vues plus de trois millions de fois sur internet et la traduction gagnante propose de traduire le terme de résilience par la capacité de résistance, de redressement et de développement.

Pour certains candidats, la résilience est vue comme un cycle ; une évolution continue face aux nouvelles conditions de vie ou aux nouveaux chocs. D’autres la perçoivent comme un chemin qui mènerait tous les acteurs d’une société à coopérer pour s’adapter ensemble et se réinventer devant un environnement changeant et plus hostile. Tous évoquent la nécessité de lier l’approche institutionnelle de la construction de la résilience à la contribution active des citoyens et des communautés locales.

Il ressort également du contenu des créations originales que les préoccupations des jeunes vietnamiens étudiants et jeunes actifs, entrepreneurs, travailleurs sociaux, tournent autour de l’intégration de la question socio-économique, du logement, de la pollution, des espaces verts et du lien entre les villes et les zones rurales.

Si une traduction consensuelle et satisfaisante a été trouvée, la difficulté de la langue vietnamienne à proposer un équivalent unique pour l’idée de résilience est significative de la diversité des réponses possibles pour intégrer la résilience dans le développement et dans la planification d’une ville ou d’une région. La forte implication des 23 millions de jeunes vietnamiens, ultra-connectés, informés et mobilisés au sein de leurs communautés respectives sera indéniablement un atout fort pour le pays.

Hoang entend enfin son nom à la tribune et se lève prestement pour rejoindre ses deux camarades. Ils viennent de gagner un prix d’encouragement dans la catégorie vidéo du concours « Nous devons, en tant que jeunes, influencer les décisions concernant la planification résiliente de nos villes et de nos lieux de vie. Profitons-en, il est encore temps d’agir! », conclut-elle.

Emna Zina Thabet est une professionnelle de la communication basée au Vietnam.

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